LATEX BURKAH de Noëlle Boucami
- leonlouisvega
- 20 sept. 2016
- 8 min de lecture
LATEX BURKAH

Pièce en un acte avec chœur vivant et chœur électronique
Une femme vient sur scène en chaloupant. Elle est habillée d’un zentai moulant en latex. Son visage est dissimulé par un voile du même matériau. La salle est dans la pénombre et les journalistes sont en train de remballer leurs affaires. Un d’entre eux gueule qu’il n’y voit rien et qu’il a égaré son micro. Une poursuite s’allume et éclaire la pépée voilée en latex. On l’appellera « Elle ».
Elle : Hé les mecs !
Chœur: Oh ! Mate un peu ! C’est qui ? Roulée ! Elle fait quoi ?
Elle : Je vous cause…
Chœur : Ah ouais ? Nous on remballe. Sûr. On m’attend, peut-être pas roulée à votre façon mais elle m’attend !
Ludo : Moi je t ‘écoute. Tu veux quoi ?
Elle : Causer aux gens, de mes trucs.
Ludo : Mais tu es masquée…
Elle : Voilée.
Ludo : C’est pareil !
Elle : Pas vraiment.
Pépé : Je parle pas aux femmes voilées. C’est une honte pour les libertés des femmes !
Elle : Ce qui vous énerve c’est que vous pouvez pas mater. Une fille à poil c’est fragile. D’ailleurs même les poils vous en voulez plus, pour tout bien voir, la raie et les trous. Pourtant vous regardez pas bien. Ou alors c’est que vous reliez pas les informations, parce que du point de vue orgasmique ça laisse toujours à désirer la relation homme femme. Le clitoris ça vous dit quelque chose ? Non, c’est pas une maladie ! Alors finalement se cacher à vos yeux c’est jouissif. Ça vous remet la queue à l’état de larve.
Ludo : Tu n’es pas musulmane. Tu n’aurais pas le droit de parler comme ça !
Elle : C’est toi qui le dis ! De toutes façons ce que vous voulez c’est notre silence. Ce que vous voulez c’est qu’on défile nos miches et qu’on se taise. Qu’on soit bonne ! Ou alors le contraire : grosses informes soumises, bonniches. Bien sûr en public ça défend les femmes, le droit constitutionnel, notre bonne vieille révolution, mais à la maison ça largue les chiottes pourries, les fringues au milieu de la carrée, la vaisselle et tout le bazar. Juste parce que vous avez des couilles et nous des ovaires ?
Antoine : Ho, c’est fini ça ! Moi, à la maison j’aide !
Elle : Faut pas aider. Aider, putain ! Ça veut dire que c’est ta femme qui est chargée officiellement du torchage des gosses, de la bouffe, des courses et du balai !
Antoine : Je cuisine…
Elle : Ouais ? Je m’en fous de toutes façon. Ce que vous faites ou pas…
Ginette : Tu veux dire quelque chose ou juste nous engueuler ? On t’écoute là. On te filme, on est là. C’est quoi le message ? Profites-en ! Moi tu vois je bosse, ma femme aussi et on a deux gosses…
Ludo : Bin merde !
Ginette : Tu vois !
Antoine : Bravo Ginette !
Elle : Vous voyez que ça sert mon intervention, joli coming out, Ginette.
Pépé : Moi je me barre. Je suis pas payé là, salut !
Elle : Bon vent ! Bonjour chez toi.
Pépé : De toutes façons je parle pas à une personne masquée.
Elle : Et à mon cul, tu parles ?
Pépé qui était en train de partir, se retourne. Elle arrache la partie du bas de son zentai et se retrouve en maillot une pièce.
Elle : Nan, je rigole, barre toi !
Pépé sort.
Elle : En fait je veux pas vous parler de mon corps, je veux vous parler de l’humanité toute entière. En regardant une femme tirer sur la laisse de son chien, dans la rue, une pensée m’a assaillie : Je me suis dit, ce chien est plus vivant que sa maîtresse ! Qu’est-ce que ça voulait dire ? On a des pensées spontanées comme ça, on sait pas d’où ça vient, des trucs bizarres… J’ai continué mes courses mais ça ne voulait pas partir de ma tête, l’idée que ce chien était plus vivant que sa maîtresse et probablement plus vivant que moi s’imposait avec force. J’ai compris que ce chien était l’alibi de cette femme, une sorte de bouclier affectif qui la faisait se sentir un peu vivante, qui justifiait sa présence sur terre. Ce chien c’était comme une béquille pour elle, pour qu’elle puisse avancer encore un peu, faire semblant d’être ici…
Ludo : Tu travailles pour la SPA ?
Antoine : Merde, Ludo !
Ludo : Bah quoi ? C’est une intégriste des animaux. Elle doit bosser avec BB. Tu bosses avec BB ?
Ginette : Il s’agit pas du chien…
Elle : Non, pas que du chien… Je me suis demandée qu’elle était ma propre béquille. Je n’ai plus de chien. Mes enfants sont grands. Et je ne porte ce voile que pour la circonstance… Je suis parvenu à la conclusion que le langage est une béquille, l’ordinateur, les métiers, le système, tout en fait, toute notre merveilleuse technologie n’est qu’une béquille…
Antoine : Tout de même ! On va dans l’espace, on se parle dans le monde entier, on comprend les forces de l’univers…
Elle : Oui, un peu… Mais n’importe quel animal vit plus pleinement sa vie que nous, dans le flux de son existence, sans langage, sans outil, sans habits, sans rien. Nous nous croyons supérieurs parce que nous sommes capables de fabriquer ces outils mais en fait nous ne sommes pas grand-chose sans eux. Notre pouvoir de mort est devenu absolu mais nous ne sommes pas du tout autonomes comme le sont tous les animaux. Ils s’intègrent parfaitement à la nature, ils y vivent dans une harmonie qui nous semble cruelle mais qui est avant tout plurielle, chorale, collaborative, et tout ça sans discours.
Pépé : Tu veux quoi ? Qu’on retourne vivre dans des huttes, dans des cavernes ?
Elle : T’es revenu toi ?
Pépé : Ouais, je suis curieux de nature et c’est aussi mon métier. Une fille en burkah de latex qui cause des bestiaux, c’est nouveau. Je reste !
Il installe sa caméra.
Elle : Nous sommes des avortons ! Nous ne comprenons même pas ce que nous faisons ici bas, ensemble. Nous ne le comprenons absolument pas et nous luttons contre notre instinct. L’instinct de l’espèce humaine est de survivre, à tout prix.
Ludo : On est tous pareils non ? Sauf les islamistes qui se font péter la gueule !
Elle : On veut croire à notre survie individuelle, alors qu’on sait pertinemment qu’on va mourir. On veut croire à la survie de notre famille, de notre province, de notre nation alors que rien n’est moins sûr. Des civilisations entières ont disparu de la surface de la terre avec leurs découvertes, leur technologie, leur langue et leurs dieux. Nous n’avons pas conscience de la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui, ce 8 septembre 2016, 7 449 034 200 et ça tourne…
L’écran montre les données de http://www.worldometers.info/fr/
Pépé : C’est bien à cause de la surpopulation qu’on va crever ! Bientôt 10 milliards et plus rien à bouffer. C’est de ça que tu veux nous parler ? C’est pas nouveau !
Elle : Ce qui est nouveau c’est comprendre que ce n’est pas pour RIEN que nous sommes plus de sept milliards. Nous serons plus de dix milliards sur terre si nous ne comprenons pas comment nous devons fonctionner, ensemble et avec la nature. Nous, on lutte les uns contre les autres, on veut savoir qui est le meilleur, on veut choisir nos dieux, nos champions, nos élus. On s’affronte, on se tue, on veut éliminer des groupes entiers d’humains qu’on trouve pas beaux ou trop chiants ou trop foncés ou trop différents ou trop pareils… On ne comprend pas que cette haine de nos semblables pousse l’humanité tout entière à se reproduire à une vitesse jamais vue dans les siècles. Devant les désastres causés par nos formidables béquilles que sont notre savoir et notre technologie, notre instinct parle plus fort. Il hurle même, que nous sommes en danger et qu’il faut faire naître chaque fois plus d’humains pour avoir une chance de survivre, pour que l’humanité ait une chance de survivre au cas ou notre béquille se péterait et qu’on se foutrait la gueule par terre pour de bon. La bombe atomique, le réchauffement climatique, les mutations de virus, choisissez la catastrophe…
Nous sommes des avortons, nous sommes bancals et disgracieux, autocentrés, aveugles à ce que nous disent en permanence la nature et notre propre inconscient collectif. Seul notre instinct de survie fait encore intégralement partie de cette nature qui, pour le reste, nous semble indifférente.
Ludo : Avortons, avortons… parle pour toi !
Elle : Comment ?
Ludo : Nan, rien…
Elle : C’est sûr tu peux pas avorter, toi, tu laisses ça aux bonnes femmes. A nous de nous faire cureter de vos fœtus et en plus de nous faire traiter de salopes ou pire !
Ludo : Bon, ça va…
Ginette : T’es con, Ludo !
Elle : Je vous parle de conscience collective et vous ça vous chagrine que je vous traite de bancals disgracieux… C’est pourtant ce que nous sommes. N’importe quel bestiau naît pratiquement prêt à vivre sa vie, il n’a besoin d’aucun vêtement, d’aucun savon, d’ordinateur ou d’agriculture pour vivre, il s’insère immédiatement dans le flux de la vie naturelle et ont sait maintenant que les animaux sont capables de pensées, des pensées sans langage compréhensible pour nous, mais l’amour, l’empathie, l’amitié, le respect, l’initiative, la bonté existent dans le monde animal. Et nous on les bouffe ! Au mieux on les asservit ! Nous sommes bancals et disgracieux aux yeux de la nature.
Ginette : Vous voulez quoi?
Ludo : Vous représentez une tendance ?
Pépé : Un courant de pensée, un parti politique ?
Antoine : Une religion ?
Elle : J’essaie d’être à l’écoute de cet instinct collectif qui nous fait nous reproduire chaque fois plus, qui nous donne l’envie de nous connecter au monde entier, de nous regarder vivre, agir, en paix ou en guerre, partout et sans cesse. C’est l’instinct collectif qui nous fait rechercher cette hyper connexion.
Ginette : C’est encore une béquille, non, l’Internet ?
Elle : Oui, un artefact, mais qui va à l’essentiel. L’essentiel est la connexion, pas ce qu’elle transporte, ce qu’elle véhicule, ce qu’elle produit. L’essentiel est cette toile qui relie les gens et dont la vocation est de les relier tous, dans toutes leurs différences, leurs particularités, leurs contradictions. Nous avons besoin de béquilles pour imiter la nature car nous ne sommes pas ou ne sommes plus ou pas encore en phase avec elle. Ou peut-être sommes-nous des mutants, peut-être et probablement la nature à laquelle nous appartenons fait partie d’un contexte plus large, celui de la galaxie, des galaxies, de l’univers tout entier…
Pépé : Houlala…
Ludo : Ouais… On est fait de poussière d’étoiles, patati patata…
Antoine : Bon… Puis la physique quantique, tout ça… d’accord…
Ginette : C’est pas si tarte… mais c’est bateau…
Pépé : Ouais, bon bin moi je remballe.
Ludo : Pareil !
Elle : La terre est un paradis dont nous avons été expulsés, pas par Dieu, pas à cause de notre luxure ou de notre connaissance, mais à cause de notre orgueil et de notre ignorance.
Antoine : Allez…
Ludo : Salut !
Ginette : J’y vais aussi.
Pépé : Hop !
Elle : Il faut que l’on privilégie la collaboration à la compétition. Il faut trouver l’équilibre qui permettra à l’instinct collectif d’affleurer. Qui nous permettra de comprendre que nous sommes déjà en train de voyager dans l’espace, tous ensemble, sur terre, de comprendre que notre galaxie est en route ! Nous ne tournons pas en rond comme des cinglés, nous NAVIGONS dans l’espace, toutes nos étoiles et la terre suivent le soleil dans un incommensurable vortex. Nous naviguons ! Et nous essaimerons peut-être d’autres mondes mais pour l’instant nous ne sommes que des passagers de cette galaxie qui nous transporte et dont, nous mêmes, transportons la conscience !
Les journalistes ont remballés et partent.
Elle : Où allez-vous ? J’enlève le haut ! J’enlève tout.
Elle arrache ses vêtements. Les journalistes reviennent. Noir.
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